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Gouvernance de l’IA : la gestion de l’innovation par la haute direction


Achille Ettorre :

D’un point de vue financier, je crois sincèrement que l’utilisation des outils ou des modèles d'intelligence artificielle (« IA ») peut augmenter les revenus de toute entreprise qui comprend les processus s’y rapportant ainsi que leurs utilisateurs.

Narrateur :

Bienvenue à La comptabilité de l’avenir, un balado de BDO Canada à l’intention des dirigeants financiers qui doivent composer avec le changement et qui veulent assurer leur croissance. Nous aborderons des questions que les directeurs financiers n’avaient pas eu à traiter par le passé, mais qu’ils devront inévitablement gérer à l’avenir.

Anne-Marie Henson :

Bonjour et bienvenue à cet épisode de La comptabilité de l’avenir de BDO Canada. Je m’appelle Anne-Marie Henson et j’ai le plaisir de recevoir Achille Ettorre pour l’épisode d’aujourd’hui. Achille siège au comité consultatif des programmes de maîtrise en analyse de gestion et en gestion de l’intelligence artificielle à la Smith School of Business de l’Université Queen’s. Il possède plus de 15 ans d’expérience dans la mise en place et la direction de programmes d’analyse, ainsi qu'en création et exploitation d’infrastructures de données pour des organismes internationaux. Il enseigne actuellement à l’International Institute for Analytics, qui fait autorité dans le domaine de l’analyse, de la maturité et des pratiques exemplaires, où il est également conseiller de direction. Il a aussi présenté une conférence intitulée « How AI can build the life you want « dans le cadre de la série TEDx, qui a été visionnée plus de 100 000 fois sur YouTube. Il s’est donné pour mission de faire évoluer le secteur et de transformer les entreprises grâce à des solutions fondées sur les données. Bienvenue, Achille.

Achille Ettorre :

Merci beaucoup pour l’invitation, Anne-Marie. Je suis ravi d’être ici.

Anne-Marie Henson :

Excellent. Auriez-vous un jour pensé que votre expérience vous amènerait à être invité à un balado sur la comptabilité?

Achille Ettorre :

À vrai dire, non. J’ai tout de même de l’expérience en finance, car j’ai travaillé dans le domaine au début de ma carrière. Mais je n’aurais toutefois jamais pensé être invité à un balado de ce genre.

Anne-Marie Henson :

Excellent. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Nos auditeurs le savent sans doute, mais nous aimons discuter des tendances observées et des événements qui surviennent dans le monde, puis examiner leur incidence sur la comptabilité et la fonction financière. Votre expérience de la finance correspond donc parfaitement à ces objectifs et nous sommes ravis de nous entretenir avec vous aujourd’hui.

Achille Ettorre :

Bon.

Anne-Marie Henson :

Commençons par quelques questions de base pour définir les notions. Pourriez-vous nous donner votre définition de l’IA générative et nous expliquer le lien qui existe entre celle-ci et ce qu’on appelle les mégadonnées?

Achille Ettorre :

Très bien, entrons tout de suite dans le vif du sujet. L’IA générative désigne un type d’intelligence artificielle capable de générer du contenu, sous forme de texte, d’images, de son, et même de code, beaucoup plus rapidement qu’un être humain. Il est important que les modèles soient entraînés et augmentés de manière à minimiser les biais dans les données générées. Ma définition peut sembler détaillée, mais les intervenants du domaine rivalisent actuellement d’ingéniosité en vue de travailler avec des modèles qu’ils entraîneront de manière à obtenir des résultats significatifs, impartiaux et éthiques, et ce indépendamment de l’utilisateur.

Anne-Marie Henson :

C’est fascinant. Selon vous, comment l’IA générative se rattache-t-elle aux mégadonnées et comment définiriez-vous cette notion pour ceux qui sont peu familiers avec le terme?

Achille Ettorre :

Par définition, les mégadonnées sont des ensembles de données structurées de manière à ce que chaque donnée simple créée par une entité ou une personne puisse être traitée ou consultée, que ce soit au point de vente, dans un bon de commande ou dans un compte du grand livre. Vous pouvez ainsi créer plusieurs données simples ou plusieurs points de contact qui seront ensuite intégrés dans un modèle, qu’il s’agisse d’IA générative ou de n’importe quel autre type de modèle. D’ailleurs, vous pouvez produire les données ou les informations voulues à l’aide d’une feuille de calcul Excel ou d'un autre outil du même genre.

Anne-Marie Henson :

C’est formidable. Cette explication est vraiment très utile et nous aide à mieux comprendre, car comme comptables, nous connaissons les grands livres et ces types de données. Vous avez travaillé pendant de nombreuses années auprès d’entreprises en vue d’optimiser leurs processus grâce aux analyses. Comment l’IA transforme-t-elle leur capacité d’améliorer leurs processus ou la vitesse à laquelle elles y parviennent?

Achille Ettorre :

C’est une bonne question, car une réponse rapide serait de dire que l’IA est un outil très puissant qui est censé accélérer la recherche d’informations. Aujourd’hui, nous avons recours à de grands modèles de langage et à ChatGPT, mais certaines grandes entreprises peuvent éprouver des difficultés à exploiter judicieusement les résultats de ces modèles en contexte de production, simplement en raison de leur taille. J’utiliserai donc mon ancien employeur, une entreprise du type Loblaw, Walmart ou DHL ainsi que mon entreprise familiale à titre d’exemples. Mon entreprise familiale loue du matériel de construction. Elle est en mesure de réduire l’écart qui la sépare de certaines grandes entreprises qui disposent de ressources plus importantes grâce aux modèles qu’elle élabore

à l’égard, notamment, des stratégies de mise en marché, de la tarification dynamique et de la détermination des caractéristiques essentielles d’un programme de fidélisation pour différents segments de clientèle. Toutes ces mesures sont couramment mises en œuvre dans les grandes entreprises; la difficulté consiste alors à adopter un modèle valable et dépourvu de biais à des fins de production. Dans une petite entreprise de taille semblable à la mienne, cela permet à l’entrepreneur de combler ses lacunes et d’être plus concurrentiel ou de rivaliser sur le marché.

Anne-Marie Henson :

Vous soulevez un point très intéressant, car on pourrait penser que les grandes entreprises qui ont accès à des données aussi riches seraient celles qui bénéficieraient le plus ou le plus rapidement de l’IA. Or, vous semblez dire que les données parfois trop nombreuses compliquent les choses, notamment lorsqu'il faut les exploiter pour prendre des décisions. L’IA permet aux petites et moyennes entreprises de prendre de l’expansion et d’être beaucoup plus concurrentielles par rapport aux grandes entreprises en raison de la vitesse à laquelle elles adoptent de nouveaux processus.

Achille Ettorre :

Tout à fait! Si je peux renchérir sur ce point, je dirais qu’une grande entreprise a tant de données d’entrée qu’elle doit absolument se doter d’un programme de gouvernance pour s’assurer que les processus de traitement sont toujours appliqués de manière systémique, méthodique et correcte. Une erreur commise dès le début de la configuration d’un article engendra un risque important que plusieurs autres erreurs se produisent tout au long du processus menant à sa vente à un client. Cela pourrait se répercuter sur vos relevés et vos coûts de vente, dont les chiffres seraient alors erronés, une situation vécue davantage par les grandes entreprises. Chez les plus petites entreprises qui traitent des volumes de données moins importants, ces erreurs sont plus faciles à contrôler; par contre, elles sont plus susceptibles d'être à l'origine de décisions éthiques. On pourrait par exemple s'en servir pour évaluer la marge bénéficiaire raisonnable pouvant être dégagée d'un service proposé?

Anne-Marie Henson :

Voilà qui est intéressant! Je sais que nous avons déjà abordé le sujet, mais j’aimerais que nous nous attardions aux conséquences des outils et modèles d'IA. Elles sont sans doute nombreuses, mais j’aimerais que nous discutions de leurs répercussions sur les revenus, sur le modèle de revenus, ainsi que sur les risques et les occasions d’affaires d’une entreprise. Je voudrais donc savoir ce que vous en pensez.

Achille Ettorre :

D’un point de vue financier, je crois sincèrement que l’utilisation des outils ou des modèles peut augmenter les revenus de toute entreprise qui comprend à la fois les processus s’y rapportant et leurs utilisateurs. Il peut s’agir de recourir à ChatGPT pour mettre en place une stratégie de tarification dynamique (je donne l’exemple de ChatGPT parce que c’est l’outil le plus populaire). Vous pouvez saisir des entonnoirs de vente que vous souhaitez instaurer pour vous débarrasser de stocks vieillissants et ainsi libérer la trésorerie qui s'y rattache. Vous pouvez également rationaliser votre structure de coûts en réorganisant vos acquisitions au sein de votre chaîne d’approvisionnement, en ajustant les valeurs minimales et maximales de produits à garder en stock, par exemple, afin de passer une commande de mille produits plutôt que quatre commandes de 250 produits chacune. Voilà ce qui concerne les revenus. 

Vous avez parlé des risques.

Il y a en effet des risques, et lorsque la mise en marché peut se faire très rapidement, il faut non seulement que les individus comprennent les conséquences de leurs actions, mais aussi le fait que les opérations peuvent réellement produire les résultats escomptés par le modèle. Si vous avez 20 000 articles en stock et voulez augmenter leurs prix de 30 % ou 32 %, appliquer cette augmentation sur les prix en magasin peut s'avérer fastidieux, à moins que vous disposiez d’étiquettes numériques que vous pouvez facilement modifier. C’est donc un élément à considérer si vous devez publier une circulaire hebdomadaire ou si vous devez respecter un délai quelconque. Pour l’entreprise, cela présente deux types de risques. D’une part, une personne au sein de l’entreprise a la possibilité d’augmenter ou de diminuer le prix d’un produit donné.

Elle doit connaître le contexte concurrentiel afin que le produit se vende en dépit des changements apportés et faire en sorte que la modification de prix soit effectuée sur une base hebdomadaire ou mensuelle. Ces risques sont généralement bien gérés par les entreprises qui disposent d’une structure de gouvernance solide et dont les processus sont clairement définis à l’échelle de l’organisation. Ce que je veux dire par là, c’est que les silos qui existent généralement dans les entreprises sont reliés par les différents points du flux de données, ce que l’on appelle le couplage des données à l’échelle de l’entreprise. Il est important de bien comprendre les processus qu’une entreprise a imposés ou définis pour son organisation pour minimiser les risques d’erreur.

Anne-Marie Henson :

Effectivement. J’aimerais d’ailleurs revenir sur un point que vous avez soulevé. Il y a quelques mois, nous avons enregistré un épisode du balado sur l’IA et la fonction financière, au cours duquel nous avons parlé de l’importance de la gouvernance, qui est un thème que vous avez déjà abordé plusieurs fois. Vous avez notamment évoqué la nécessité de se doter d’un processus de gouvernance adéquat pour comprendre les données d’entrée, la chaîne de valeur et le déroulement de chaque étape afin de maximiser le rendement et de réduire les risques lors de la mise en œuvre de l’IA.

Cependant, j’entends souvent dire que l’IA, les nouvelles technologies et les innovations se développent si rapidement qu’il est difficile pour une entreprise de prendre le temps d'instaurer tous les processus et contrôles nécessaires à la mise en place d’un mécanisme de gouvernance adéquat pour maximiser son utilisation de l’IA. Beaucoup d’entreprises vont simplement de l’avant, en se disant que si elles n’agissent pas maintenant, quitte à trouver des solutions en cours de route, elles laisseront filer la possibilité d’augmenter leurs marges, de bénéficier de nouvelles sources de revenus, etc. Quel est votre avis sur le juste équilibre entre rapidité et gouvernance?

Achille Ettorre :

Les entreprises qui choisissent de procéder comme vous venez de le suggérer peuvent faire appel à des consultants indépendants comme moi qui sauront les aider à atteindre leurs objectifs. Il y a donc un secteur entier qui peut être mis à profit ou un ensemble de travaux qui peut être réalisé par la suite. En tant que consultant, je constate qu’il est plus facile de mettre en place la structure ou de contribuer à sa mise en place, puis d'aider les clients à la porter à maturité du début. Ainsi, lorsque les clients sont réellement prêts à prendre de l’expansion, ils pourront aller de l'avant sans crainte de se trouver dépassés et en situation d'implosion deux ou trois mois plus tard. J'utilise ici le terme « implosion » en lien avec l’aspect opérationnel. Vous pouvez imploser en cas de non-respect des exigences réglementaires en matière fiscale, qu'il s'agisse de normes canadiennes internationales ou de toutes exigences de présentation de l’information en vigueur.

Si vous êtes une personne organisée et que vous consacrez le temps, l’argent et les ressources nécessaires en amont, vous éviterez bien des angoisses si les choses viennent à se gâter par la suite. Autrement, le niveau de risque n’en vaudrait pas la peine... Le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Si vous avez accès à un bac à sable, un environnement de jeu ou un centre d’innovation où vous pouvez tester les modèles et observer leurs effets dans un environnement simulé, tant mieux. Je suis favorable à cette idée. Je crois toutefois que se lancer tête baissée en contexte de production n'est pas la meilleure option pour les entreprises. Si elles croient devoir tout faire plus vite, je crois plutôt qu'elles devraient ralentir pour éviter de mordre la poussière.

Anne-Marie Henson :

Tout à fait. Il est bon de se rappeler, comme vous l’avez dit, qu'il est possible d’aller relativement vite, mais uniquement si l'on peut compter sur la bonne expertise et les bonnes personnes pour nous aider à mettre les choses en place afin de ne pas rater d'occasions. J’aimerais que vous me parliez de votre travail ou de vos réflexions en ce qui concerne la gouvernance et le conseil d’administration d’une entreprise. Comment les membres d’un comité d’audit peuvent-ils se familiariser avec l’IA et améliorer leur état de préparation afin d’aider leur entreprise à prendre les bonnes décisions en ce qui concerne la voie à suivre?

Achille Ettorre :

C’est une excellente question. Les membres d’un conseil d’administration en particulier devraient consacrer du temps à la formation, qu’elle soit formelle ou informelle, pour comprendre l’utilité de l’IA pour leur entreprise ou, plus simplement, pour l’ensemble du secteur, ce qui serait assurément de bon augure. La formation ne devrait pas se limiter au conseil d’administration, mais être offerte à l’ensemble de l’entreprise. L’IA est une technologie qui n’est pas près de disparaître. Elle n’est certes pas parfaite, loin de là, mais elle est en constante amélioration. Beaucoup de choses changeront. Le recours à des consultants ou à d’autres personnes ayant de l’expérience dans les domaines de l’IA et des analyses et dans la mise sur pied et la gestion d’une équipe de gouvernance dès le début du processus de transformation peut s’avérer grandement formateur et informatif pour l’équipe de gouvernance de l’entreprise, qui sera alors en mesure de gérer la situation et ses projets.

Les responsables de la finance et de l’audit doivent être au cœur de l’action dès le départ. J’ai même vu des membres du conseil d’administration participer aux projets et faire part de leur point de vue. Avant l’IA et les mégadonnées, les entreprises disposaient de suffisamment de temps pour réagir, organiser une réunion du conseil d’administration et rédiger un rapport trimestriel pour véritablement comprendre les possibles difficultés en amont. Cette époque est révolue. Vous pouvez littéralement créer un modèle et un agent d'IA pour votre entreprise en moins d’une journée. Il faut donc suivre de près ce qui se passe. Voilà, à mon avis, ce sont là les éléments les plus importants à surveiller et les conseils que j’ai à prodiguer.

Anne-Marie Henson :

Oui, et j’aime bien l’idée d’avoir des experts en comptabilité et en finance réunis autour d'une même table. La fonction financière a tendance à être davantage considérée, du moins c’était comme ça dans le passé, lorsqu’il est question de comptabiliser les revenus générés dans le cadre d’un contrat conclu il y a six mois ou de mettre en place un système de gestion de ces revenus. Et comme vous l’avez dit, compte tenu des décisions qui doivent être prises et des changements qui peuvent survenir au sein des entreprises, il est important que ces experts soient réunis pour discuter des problèmes potentiels ou des répercussions des différentes options. Cela vaut non seulement pour la fonction financière, mais aussi pour les services d’approvisionnement, de ressources humaines et d’informatique, ainsi que pour toutes les autres fonctions appelées à participer à la prise de décisions presque en temps réel.

Achille Ettorre :

Absolument.

Anne-Marie Henson :

Parlez-nous un peu de I'incidence de la gouvernance sur I'IA en précisant certaines questions fondamentales qu’un comité d’audit ou que les membres du conseil d’administration devraient poser à l’équipe de direction.

Achille Ettorre :

C’est une question difficile. Si on considère les principes qui sous-tendent les questions à poser, il faut savoir comment les données sont gérées et en comprendre les aspects éthiques. Par ailleurs, il faut aussi se familiariser avec la conformité réglementaire, ce qui n’est pas suffisamment valorisé d'après mon expérience. Ensuite, il faut tenir compte de la gestion des risques. Les différents piliers doivent fonctionner de concert et pratiquement former une nouvelle entité. Les groupes ou les fonctions qui existaient déjà doivent désormais collaborer. En travaillant ensemble, ils seront en mesure notamment de dégager les erreurs d’utilisation des modèles ou fonctions, les biais ou, tout simplement, les erreurs découlant de lacunes dans la conception du processus.

Il se peut que vous ne disposiez pas d’un progiciel de gestion intégré comme SAP, mais d’un système moins performant parce que votre croissance a été trop rapide et que vous n’avez pas été en mesure de mettre en œuvre un outil de gestion efficace et robuste. Vous devez donc comprendre le niveau de maturité de votre entreprise en ce qui concerne l’utilisation des données et des analyses et la mise en œuvre de l’intelligence artificielle. Une fois votre état de maturité connu, vous pourrez bien entendu chercher à l’améliorer. Cependant, toutes les entreprises ne deviendront pas comme Amazon

ou Google. Elles ne suivront pas toutes l’exemple de Loblaw ou de Walmart. Certaines petites entreprises, comme la mienne, coopèrent entre elles et se rendent rapidement compte qu'elles doivent communiquer. Mon entreprise est sans doute atypique à quelques égards, mais je peux vous affirmer sans hésiter que si vous ne comprenez pas la conformité réglementaire et son incidence sur la production de vos déclarations de la TPS/TVH, vous n’allez pas vous en sortir. Vous ne pourrez pas ignorer la question pendant des mois, voire un an ou deux. Vous devez vraiment demeurer à l’affût de nombreuses questions; autrement, même les entreprises les plus prolifiques pourraient ne pas s'en sortir.

Anne-Marie Henson :

Bien. Merci. J’apprécie beaucoup le fait que vous ayez à la fois donné des exemples de très grandes entreprises et de votre entreprise familiale. Cela permet de mettre les choses en perspective et de comprendre la position des entreprises et les responsabilités qui leur incombent. Au bout du compte, la taille de l’entreprise importe peu en matière de conformité, car il faut toujours s’assurer de respecter les règlements en vigueur, sinon vous risquez de devoir mettre la clé sous la porte très rapidement. Vous avez évoqué le caractère actuellement imparfait de l’IA, mais il est certain qu’elle est appelée à se transformer radicalement au cours de la prochaine génération compte tenu de la rapidité de son évolution. Selon vous, comment l’IA évoluera-t-elle dans les cinq prochaines années?

Achille Ettorre :

Je pense sincèrement que l’IA nous accompagnera tout au long de notre vie. Si je travaillais dans le secteur de l’audit, je vous conseillerais d’automatiser une grande partie des tâches courantes de façon à assurer une surveillance et un examen plutôt qu’une simple compilation automatisée des données. Une telle fonction sera efficace, qu’elle soit intégrée dans un système ERP ou dans un système maison conçu par l’entreprise elle-même. Je pense à la fraude. Lorsque je pense à l’audit, je pense à la fraude. La boîte à outils des spécialistes de l’audit et des services-conseils serait bien plus efficace pour détecter les fraudes, les analyser et les examiner sous tous les angles possibles. En effet, étant donné le volume de données disponibles et la vitesse de leur collecte, et grâce aux autres données pouvant être superposées, cette fonction permettrait d'effectuer une analyse prédictive ou de déterminer ce qui peut se produire dans les circonstances.

Ça peut sembler exagéré, Anne-Marie, mais je ne pense pas que de procéder à un audit une fois par année ou par trimestre soit la meilleure option. Ce n’est pas mauvais, mais l’IA est probablement en mesure d'automatiser les tâches d'un audit annuel pour que les éléments soient plutôt vérifiés chaque mois ou chaque semaine par le système avant que vous les validiez. Le processus d’audit serait alors continu. On ne peut donc pas certain de savoir à quoi ressemblerait l'audit annuel après coup. Je connais le processus actuel, mais il sera beaucoup plus facile pour les acteurs du secteur de le réaliser, étant donné les outils qui seront mis à leur disposition.

Anne-Marie Henson :

Oui. En fait, ce n’est pas exagéré du tout. J’ai déjà entendu parler du concept d’audit continu. Lorsque de nombreux changements ont été apportés en raison de la loi Sarbanes-Oxley et de l’imposition de contrôles, on s’attendait à une augmentation du nombre d’audits continus. Je ne sais pas si c’est précisément le cas, mais il semble que les outils d’IA dont nous disposons aujourd’hui nous permettraient de réaliser beaucoup plus d’audits en cours d’exercice, puis d’intervenir à la fin de l’année pour simplement compléter les procédures plutôt que de réaliser un audit complet des 12 derniers mois. Il sera donc intéressant de voir comment les choses évolueront. Nous avons beaucoup parlé des domaines dans lesquels l’IA pourrait être très utile aux entreprises. Y a-t-il des domaines où l’IA ne devrait pas être utilisée selon vos observations ou vos analyses?

Achille Ettorre :

C’est un sujet controversé, car je suis résolument en faveur de l’IA, mais dans les situations présentant une charge émotionnelle, des données sensibles ou une décision délicate à prendre, je pense qu’il est préférable de s’appuyer sur l’IA pour prendre la décision. Par contre, je ne réduirais pas mes effectifs de 10 % en me fondant uniquement sur l’IA. Et je suis convaincu que certaines entreprises l’ont déjà fait. Il est tout à fait possible d'utiliser l’IA pour prendre des décisions. La technologie doit toutefois faire l’objet d’une supervision humaine, et idéalement pas d'une seule personne. Lorsque l’on aborde la planification stratégique ou que l’on réfléchit à la culture et à la direction de l’entreprise, il est possible d’avoir des conversations fort intéressantes avec la nouvelle version de ChatGPT. Néanmoins, la décision finale revient, ou devrait revenir, à un être humain.

Je suis convaincu que l’IA peut contribuer au renforcement ou à la mise en place d’un cadre stratégique, mais les dirigeants doivent être conscients de la participation des humains au processus. C’est le cas, notamment, dans les domaines où vous soupçonnez l’existence de biais importants ou d'un modèle imparfait ou que le modèle donnera des résultats erronés selon l’expérience des gens sur le terrain. La situation ressemble alors à une discussion en matière de santé où vous devez envisager un diagnostic ou obtenir de l’aide pour traiter une maladie particulière. Nous voulons avoir recours à l’IA dans la mesure du possible, mais l’expertise humaine est essentielle pour analyser la situation et s’assurer que les décisions prises conviennent aux personnes concernées.

 

Anne-Marie Henson :

Bien. Il est bon de savoir que les humains ne sont pas encore devenus complètement superflus, et qu’il y a des aspects du processus décisionnel ou de la communication qui nécessitent encore notre intervention. Vous avez évoqué les biais. C’est une question qui m’intéresse beaucoup lorsqu'on parle d’IA. Je suis très curieuse de savoir comment nous pouvons éliminer, ou au moins réduire de manière substantielle, les biais liés à l’IA et à l’analyse prédictive. Pouvez-vous nous expliquer comment une personne ou une entreprise peut mettre au point un produit d’IA exempt ou presque exempt de biais?

Achille Ettorre :

C’est très difficile, mais je pense qu’il faut absolument disposer de données diversifiées pour y arriver. Par données diversifiées, j’entends non seulement des données internes, mais aussi des données externes permettant de valider les éléments qui doivent être prouvés. Il faut évidemment mettre en place des mesures de détection des biais afin d’éviter qu’ils ne se glissent dans un modèle particulier. Quand je dis qu’il faut faire participer des spécialistes de l’audit au processus, cela comprend également tous les membres de l’équipe de développement afin d’assurer la transparence de l’algorithme. Cela ne suppose pas de passer en revue tous les calculs, mais plutôt d’établir un arbre décisionnel dans lequel seront intégrées, le cas échéant, les différentes données d’entrée et les critères à prendre en compte afin de déterminer les résultats attendus dans chaque cas de figure.

Il faut absolument prendre le temps de comprendre les tenants et les aboutissants du processus afin d’éviter les biais dans les cas d’utilisation du modèle. Par ailleurs, nous parlons beaucoup des personnes, des processus et de la technologie. En ce qui concerne les personnes, il faut que le groupe soit diversifié ou inclusif. Il n’est pas nécessaire que tous les membres de l’équipe sachent coder et élaborer des algorithmes; si quelques-uns d’entre eux sont capables de le faire, c’est certainement un atout. Il faut cependant se tourner vers des interlocuteurs issus de tous les domaines,

qu’il s’agisse de clients actuels ou potentiels, ou encore d’employés d’autres équipes, de conseillers, de comités externes ou de consultants qui examineront et approuveront les travaux et s’assureront que ceux-ci sont exempts de biais. Ensuite, une fois le processus terminé, il faut absolument en assurer un contrôle continu. Si je prends l’exemple de Disney, l’équipe de Mark Shafer réalise quelques millions de prévisions quotidiennes relatives à la capacité. Elle cherche ainsi à s’assurer que les services offerts correspondent à ce que les clients qui réservent une croisière ou une visite dans un parc et leur famille veulent, peu importe où ils se trouvent dans le monde.

Anne-Marie Henson :

Bien. Merci de nous avoir fait part de cela. Le suivi continu est très important. Vous avez beau faire tous les efforts requis pour mettre en place un processus et élaborer une stratégie axée sur un outil d’IA que vous allez utiliser au début, il restera essentiel de vérifier les résultats de temps à autre, une fois l’outil implanté. Nous avons beaucoup parlé de l’IA et de ses répercussions sur les entreprises et sur les audits. J’aimerais maintenant que vous me parliez de vous. Comment envisagez-vous l'évolution de votre vie professionnelle dans les prochaines années?

Achille Ettorre :

Voilà une question intéressante. J’ai la chance de pouvoir mener à bien plusieurs projets qui me tiennent à cœur. Depuis la pandémie, je me suis beaucoup consacré à mon travail auprès de mes collègues de Harvard. Karim, qui dirige le département d’analyse à Harvard, le Digital Data Design Institute ou D^3 Institute, est célèbre pour avoir déclaré que l’IA ne remplacera pas les humains, mais que les humains qui utilisent l’IA remplaceront les humains qui ne le font pas. Cette affirmation m’a profondément marqué, parce qu’elle me fait penser à mes trois enfants. Je songe à la manière de leur donner les meilleures chances de réussir. J’ai beaucoup appris de mes expériences, tant de mes réussites que de mes échecs, et j’achève la rédaction d’un livre, qui constitue pour moi une sorte d’objectif ultime.

Une fois que ce livre aura été écrit et publié, je l’utiliserai de différentes manières pour aider des entreprises à mettre en place ou renforcer leurs activités d’analyse ou d’IA. Je pourrais aussi, plus simplement, participer à des projets ponctuels auxquels j’apporterai mon concours. Je vise surtout les entreprises, mais je souhaite aussi aider les étudiants qui terminent leurs études secondaires ou universitaires de premier cycle, parce que ces deux facettes du travail m’intéressent. Le travail en entreprise me fascine parce qu’il me permet d’apprendre beaucoup de choses, mais j’en apprends tout autant en côtoyant les jeunes, ce qui est aussi très valorisant. Bref, je ne sais pas où je vais être amené à travailler. J’espère que nous nous reverrons, Anne-Marie, et que nous aurons l’occasion de discuter à nouveau, mais voici ce qui m’attend dans les années à venir.

Anne-Marie Henson :

Excellent. Toutes mes félicitations. J’attends avec impatience la sortie de votre livre, et je serais ravie de m’entretenir avec vous à nouveau un jour. J’ai été très heureuse de discuter avec vous. J’ai beaucoup appris et j’espère que nos auditeurs aussi. Je vous remercie sincèrement de votre temps et vos propos éclairants. J’espère que nos auditeurs ont trouvé notre discussion intéressante. J’aimerais également les remercier de nous avoir écoutés aujourd’hui et lors de nos autres épisodes. Je suis Anne-Marie Henson. C’était La comptabilité de l’avenir de BDO. N’hésitez pas à nous faire savoir si vous avez trouvé le sujet intéressant et utile, et n’oubliez pas de vous abonner si vous l’avez aimé. En attendant, je vous dis à la prochaine!

Narrateur :

Merci d'avoir été des nôtres pour cet épisode de La comptabilité de l'avenir. Vous pouvez écouter les épisodes précédents et lire d'autres articles sur le sujet au www.bdo.ca/accountingforthefuture. Vous pouvez également vous abonner sur Apple PodcastsSpotify ou Google Balados. Pour obtenir de plus amples renseignements sur BDO Canada, visitez le www.bdo.ca.

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